Conférence : “La Constitution du Cambodge, vingt ans après son adoption”, par Hisham Mousar – 10 Mai 2016
Le 10 Mai 2016, l’Association Henri Capitant Cambodge a eu le plaisir d’organiser une conférence portant sur la Constitution du Royaume du Cambodge réalisée par le professeur Hisham Mousar, membre du Conseil Scientifique de notre association. Face à une salle de conférence comble, l’expertise juridique du professeur Mousar a permis d’éclairer l’assistance sur le droit constitutionnel cambodgien à travers un exposé passionnant. En voici un résumé détaillé.
Du compromis des Accords de Paris à la pratique constitutionnelle souple du Royaume du Cambodge
Le 23 Octobre 1991 sont signés les Accords de Paris, mettant un terme à une longue période de guerre civile. Est alors lancé un processus constitutionnel qui aboutira deux ans plus tard à la proclamation de la constitution cambodgienne, le 24 Septembre 1993. Cette constitution sera issue d’un véritable compromis entre les signataires des accords de paix, tout en étant marquée par les exigences de l’ONU qui administre le pays provisoirement depuis 1991.
Cela se traduit par plusieurs grandes orientations inscrites dans la constitution : la restauration de la monarchie demandée par le Front Uni National pour un Cambodge Indépendant Neutre Pacifique Et Coopératif (FUNCINPEC), la conservation de la souveraineté nationale revendiquée par les Khmers Rouges, la défense des droits de l’Homme avancée par le Front national de libération du peuple khmer (FNLPK), et la mise en place d’institutions démocratiques en accord avec la volonté de l’ONU et celle des pays signataires.
De là, le système politique qui émerge est nécessairement syncrétique, avec une pratique constitutionnelle très flexible qui se base sur la multiplication des amendements pour mettre fin aux crises politiques. Néanmoins ce caractère « mou » du texte constitutionnel a fait vaciller l’équilibre initial créé en 1993, favorisant les prétentions de certaines parties aux Accords de Paris tout en limitant celles d’autres.
Notons, enfin, que la constitution cambodgienne s’est inspirée du modèle occidental, d’une part à travers la séparation organique des pouvoirs et leur coopération fonctionnelle (checks and balances), et d’autre part dans le respect fondamental des droits de l’Homme garanti par le roi et l’organe judiciaire, avec l’obligation constitutionnelle qu’ont les différentes institutions de les respecter.
La situation du pouvoir parlementaire et les problématiques de la codification
Le Cambodge dispose d’un parlement bicaméral, composé d’une Assemblée Nationale et d’un Sénat, le dernier mot revenant toujours à l’Assemblée Nationale. Le Sénat, en plus de son rôle législatif, se doit de coordonner les travaux de l’Assemblée et du gouvernement.
Dans les faits, les domaines de la loi sont assez incertains et éparses, tandis qu’il y a une véritable absence de reconnaissance formelle d’un pouvoir réglementaire autonome. De plus, la hiérarchie des normes est appliquée de manière incertaine, avec une supériorité à confirmer de la loi sur le règlement. Cependant, les textes réglementaires, comme dans les grandes démocraties, sont en nombre bien supérieur à celui des textes de lois, cantonnant le Parlement à un pouvoir quantitativement mineur dans la création des normes.
Notons, aussi, que la codification peut parfois s’avérer difficile, comme l’illustre le rejet du Code Pénal de 2010 par les défenseurs de droits de l’Homme, alors que celui-ci est pourtant moins répressif que le Code de l’Apronuc, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression. Une véritable difficulté à laquelle la justice est confrontée est l’interprétation par le juge des textes de lois et du droit, tant la jurisprudence cambodgienne n’est pas encore suffisamment prévisible et crée une forme d’insécurité juridique pour les contribuables. Ces problématiques de codification s’incarnent aussi dans le Code Civil dont l’écriture en rend la compréhension et l’interprétation complexe, en raison d’un équilibre précaire entre la logique des juristes civilistes et celle des juristes de la Common Law, rendant très difficile, pour ne pas dire impossible, sa compréhension par les uns comme par les autres.
Un exécutif au pouvoir réglementaire fort et aux ressources importantes
Le pouvoir exécutif a, comme en France, un rôle prépondérant dans la création de textes réglementaires. Il dispose de grandes ressources, notamment humaines, avec au Cambodge près de 232 membres de gouvernement dont 56 ministres pour 23 ministères.
Un certain nombre d’autorités administratives (indépendantes ?) accroissent considérablement le pouvoir normatif de l’exécutif. Il convient de distinguer deux types de structures : celles divisées au sein même d’administrations, et celles ayant une mission industrielle et commerciale. L’intérêt pour le gouvernement étant probablement de répartir le pouvoir en s’adaptant aux pratiques internationales.
En conclusion : la constitution de 1993 contient l’essentiel des recettes constitutionnelles libérales.
La souveraineté y est en effet défini comme étant nationale (et non populaire), la monarchie fonctionne à l’image de celle du Royaume-Uni, les pouvoirs sont subtilement séparés et répartis suivant la logique du parlementarisme, et le respect des droits est garanti par un Conseil Constitutionnel et un pouvoir judiciaire indépendant. Dans la pratique constitutionnelle, le gouvernement dispose d’un pouvoir fort, notamment à travers un pouvoir réglementaire accru, un système qui a prévalu tout au long de la 5e République en France.
Cet évènement s’inscrit dans le cadre du Cycle de Conférences de l’Association Henri Capitant qui se prolongera au sein d’écoles, universités, instituts partenaires et amis de l’Association.
Nous ne manquerons pas de vous tenir informés des prochains évènements à venir.