Faites connaissance avec les membres de l’association Henri Capitant – Rencontre avec Jean-Marc Lavergne
Rencontre avec Jean-Marc Lavergne
Membre de l’Association Henri Capitant Cambodge
- Pouvez-vous rapidement vous présenter (parcours et formation professionnels, nationalité, profession, domaines de compétences) ?
Je suis français et en ce qui concerne mon parcours je dois dire que j’ai hésité dans mes choix d’orientation professionnelle, car quand j’étais au lycée je rêvai de devenir ingénieur pour construire des ponts… puis je me suis dirigé vers des études de droit et après avoir passé l’examen d’entrée à l’école de formation du barreau et obtenu un diplôme d’études supérieures spécialisées en droit notarial, j’ai finalement été reçu au concours de la magistrature en 1984. Malgré une formation de juriste civiliste, ma carrière en tant que juge m’a plutôt conduit à exercer des fonctions de pénaliste. J’ai été pendant près de 10 ans juge de l’application des peines et une de mes missions a été de développer les mesures alternatives à l’emprisonnement. J’ai aussi présidé pendant de nombreuses années des audiences correctionnelles ainsi que des sessions d’assises dans divers départements des cours d’appel de Rennes et d’Angers. Parallèlement j’ai toujours été intéressé par le droit international et la justice internationale plus particulièrement dans les domaines du droit européen, des droits de l’homme et de la justice pénale internationale. Aujourd’hui je suis juge à la Chambre de première instance des Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens et une grande partie de mon activité consiste à faire des liens entre des cultures différentes et des systèmes juridiques différents, entre un passé qui date de près de 40 ans et le Cambodge d’aujourd’hui,… une autre façon de construire des ponts… pour aller de l’avant.
- Quel est pour vous le(s) domaine(s) de droit au Cambodge qui nécessite d’être réformé ou développé ?
Il me semble que l’adoption de règles de droit administratif et de contentieux administratif doit être une priorité. L’absence de juridiction administrative au Cambodge me parait poser de sérieux problèmes, surtout lorsque la pratique administrative vient contredire des dispositions qui font partie du droit cambodgien, voire lorsque certaines décisions révèlent des abus qui ne peuvent être sanctionnés faute de recours possible. On pourrait sans doute aussi imaginer l’instauration d’une Cour Asiatique des Droits de l’Homme à l’instar de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ou encore de la Cour Africaine des Droits de l’Homme. Je pense que la régionalisation du Droit peut être un facteur important de modernisation et de développement et que cela mériterait d’être davantage considéré dans des organisations telle que l’ASEAN, notamment pour promouvoir et élever des standards commun en matière de justice.
- Pourquoi avez-vous rejoint l’Association Henri Capitant?
Je suis un simple membre de l’Association, mais je considère qu’il est important de lui apporter mon soutien car elle offre aux juristes cambodgiens et internationaux qui travaillent au Cambodge ou qui sont intéressés par ce pays, un lieu où il est possible d’échanger sur l’état et l’avenir du droit cambodgien et de partager des savoirs. Le droit cambodgien malgré les vicissitudes de son histoire garde des liens essentiels avec la « matrice » française d’où il puise une partie essentielle de ses racines, mais dans sa reconstruction et dans son développement, d’autres sources d’inspiration lui sont offertes. Le Cambodge doit essayer de tirer avantage de cette diversité tout en s’assurant que le droit applicable pris dans ses différentes branches soit cohérent et conforme aux standards internationaux en particulier pour tout ce qui touche aux droits de ‘l’homme.
- Pouvez-vous nous donner un mot qui vous définit le mieux ?
J’essaie d’être un « artisan » au sens de celui qui entend prendre part à la réalisation d’une chose. L’artisan doit savoir faire preuve de patience et de détermination et mon ambition est de pouvoir être un artisan qui contribue à une œuvre de justice, en particulier ici et maintenant en cherchant à comprendre quelles sont les causes et quels sont ceux qui sont responsables des évènements qui se sont produits pendant la période du Kampuchéa démocratique. Je souhaite que cette œuvre de justice soit utile, qu’elle soit porteuse d’enseignements pour l’avenir de ce pays, pour ceux qui ont souffert et pour prévenir autant que possible une répétition de l’histoire.
- Pourquoi avez-vous décidé de venir vous installer et travailler à Phnom Penh ?
J’ai eu la chance étant jeune de pouvoir rencontrer des étudiants Cambodgiens qui connaissaient mon père et cela a été mon premier contact avec le Cambodge. J’avais été à la fois fasciné par l’évocation de la culture khmère, la grâce des danseuses apsaras, la splendeur des temples angkoriens, mais en même temps j’étais troublé par les déchirures dont souffrait ce pays et en particulier je me souviens des heures difficiles vécues par ces étudiants devenus des réfugiés en France et notamment de leur angoisse lors de l’évacuation de Phnom-Penh concernant le sort de leurs familles restées sur place. Bien des années plus tard le Ministère de la Justice français a diffusé sur son site intranet un avis d’appel à candidature pour des postes de juge auprès du Tribunal mixte soutenu par l’ONU et j’ai décidé de tenter cette expérience exceptionnelle que je ne regrette pas.
- Qu’est-ce que vous appréciez faire le plus en dehors de votre travail à Phnom Penh et quand vous sortez hors de Phnom Penh ?
J’aime beaucoup voir le travail des artistes cambodgiens je pense que la plus grande richesse du Cambodge vient de sa jeunesse et il est très intéressant de voir parmi la jeune génération des gens capables et désireux à la fois de faire vivre des traditions artistiques Cambodgiennes comme la danse, le théâtre d’ombres, la musique, la sculpture, mais aussi de trouver de nouvelles formes d’expression contemporaines en particulier dans le domaine de la peinture, du cinéma ou du cirque. Je suis en particulier très admiratif de ce que des jeunes ayant souvent des parcours particulièrement difficiles peuvent réussir à accomplir grâce à des associations comme Phare Ponleu Selpak.
- Qu’est-ce que vous pourriez nous dire sur vous que personne ne sait ?
Avoir un « jardin secret » est important, garder son « jardin secret » secret est essentiel ! Ce n’est pas tout à fait une boutade et, pour reprendre une formule à la mode, ce qui « m’interpelle » c’est la façon dont certaines personnes peuvent parfois livrer des détails intimes sur leur vie privée dans les « réseaux sociaux ». Mais en ce qui me concerne, je peux vous dire que mon jardin secret est rempli de passions pour la lecture, pour les voyages et pour les arts graphiques, en particulier pour l’art du papier découpé que l’on appelle « canivet », art que je pratique depuis de nombreuses années. Bref je suis un juge qui une fois sa tâche accomplie, aime « s’évader », que soit par la littérature, la pratique d’un hobby artistique, ou par la découverte d’autres lieux, d’autres personnes … mais cette évasion a pour seule raison de chercher à atteindre une harmonie intérieure par une vie équilibrée et ouverte sur le monde.