Conférence | Le règlement des conflits commerciaux – 18 novembre 2016
La Conférence s’est ouverte par une cérémonie protocolaire avec pour invités d’honneurs Monsieur Alain Fortin, chargé d’Affaire de l’Ambassade de France, et son Excellence Monsieur Anh Vong Vathana, Ministre de la Justice. Son Excellence Monsieur Anh Vong Vathana s’est félicité de l’organisation d’un tel événement, rappelant que les professions juridiques étaient des « acteurs majeurs du développement économique » et qu’elles « [contribuaient] à la stabilité et la paix au Cambodge ». Enfin, Monsieur le Ministre a rappelé les récentes réformes du Gouvernement Royal du Cambodge, notamment l’adoption des trois lois fondamentales en 2014 qui répondent à l’une des quatre priorités de la stratégie rectangulaire : la bonne gouvernance.
Face à une salle de conférence comble, où étaient présents de nombreux actuels comme futurs praticiens du droit, les diverses interventions des experts ont permis d’éclairer l’assistance sur les systèmes français et khmer en matière de règlement des conflits commerciaux. En voici un résumé détaillé.
Les modes de règlements alternatifs des conflits commerciaux
Ces nouveaux modes de règlements reposent sur une renonciation à une résolution des conflits par l’intervention d’un juge étatique. Cette renonciation peut prendre deux formes que l’on qualifie fréquemment de « modes alternatifs ». D’une part, la conciliation ou la médiation et d’autre part, l’arbitrage. Pour cette première partie intervenait Maître Yudi Bun en tant que spécialiste cambodgien du Cabinet d’Avocats Bun & Associés et Monsieur Michel Armand Prevost pour l’Association Droit & Commerce.
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L’arbitrage en France et au Cambodge
Historique et avantages
En France, l’arbitrage apparaît comme une évolution contemporaine de la résolution des conflits, pourtant, comme le précise Monsieur Armand-Prevost : « Aristote disait [déjà], l’arbitre vise à l’équité, le juge à la loi, l’arbitrage a été inventé pour que l’équité soit appliquée ». S’ajoute à cela d’autres références provenant cette fois-ci de l’époque révolutionnaire, ainsi « la loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire [énonce] que l’arbitrage est le moyen le plus raisonnable de terminer les conflits entre les citoyens ». En France, l’arbitrage est aujourd’hui encadré dans le Code civil aux articles 2059 à 2061 ainsi que par les articles 1442 et 1527 du Code de procédure civile.
Le Cambodge, pour sa part, s’est doté d’une notion s’apparentant à l’arbitrage moderne à peine un an après son indépendance : en effet, dès décembre 1954, une loi est adoptée et propose aux parties de résoudre leurs conflits en dehors du système judiciaire. Fort de cette tradition, le Cambodge ratifiera dès 1960 la Convention de New York sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales de 1958.
La « tabula rasa » opérée par les Khmers Rouges obligera le Gouvernement à adopter une nouvelle loi en 2001 approuvant et ratifiant – à nouveau – la Convention de New York. En 2006, la loi sur l’arbitrage commercial instaure un centre d’arbitrage cambodgien, d’inspiration singapourienne, qui sera officiellement lancé en 2013 et baptisé « Centre National d’Arbitrage Commercial ». Enfin, en 2014, une loi portant sur les règles internes du centre national d’arbitrage dote le Cambodge d’un corpus de règles propres à l’arbitrage.
Au Cambodge, la définition des conflits pouvant faire l’objet d’un arbitrage est vague : en effet, l’art. 2 de la loi sur l’arbitrage commercial précitée énonce qu’une « large variété de conflits commerciaux peuvent être réglée par l’arbitrage. » Ainsi, les contrats de ventes, de services, de distribution, de construction y seraient soumis.
Les deux intervenants reconnaissent ainsi à l’arbitrage les mêmes vertus : sa rapidité, sa confidentialité, la maîtrise technique par les arbitres des litiges qui leurs sont confiés mais aussi, son caractère de « fusil à un coup » puisqu’il est, sauf dérogation, sans appel. L’inconvénient majeur étant le prix souvent prohibitif de l’arbitrage. Celui-ci varie selon les centres, mais à Singapour, par exemple, il ne serait pas intéressant d’y faire trancher un litige dont le contrat aurait une valeur inférieure à dix millions de dollars, selon Maître Bun.
Au Cambodge, il remplit, au surplus, d’autres objectifs et constitue une garantie non négligeable pour les investisseurs étrangers : l’arbitrage palie notamment à l’insécurité juridique émanant de la jurisprudence des tribunaux cambodgiens. Il permet de contourner le khmer, seule langue autorisée au sein des Cours cambodgiennes et dispose d’une exécution l’internationale, grâce à l’application de la convention de New York, ce qui n’est pas le cas des décisions rendues par les tribunaux cambodgiens.
Fondement, procédure et résolution du litige
En France comme au Cambodge, l’arbitrage est d’origine conventionnelle puisqu’il suppose l’expression d’une volonté des parties de soumettre leur litige à un juge privée. Il peut-être prévu dans le contrat (clause compromissoire) ou postérieur à la survenance du litige (compromis d’arbitrage). L’une ou l’autre de ces possibilités n’a aucune incidence sur la substance de l’arbitrage. Les parties peuvent soit opter pour l’un des centres d’arbitrage existants, ce qui aura pour conséquence le respect des règles relevant du centre d’arbitrage en question, ou bien choisir l’arbitrage ad hoc, qui laisse libre cours aux parties pour déterminer le déroulement de celui-ci.
L’arbitre ne peut-être une personne morale, il est obligatoirement une personne physique. Les parties peuvent décider de nommer un seul arbitre conjointement ou bien trois arbitres. Si les deux parties optent pour la collégialité, elles désigneront chacun un arbitre qui, à leur tour, devront désigner le troisième arbitre dont la fonction sera de présider le tribunal arbitral.
En France, l’institution du juge d’appui permet de régler les difficultés de constitution du tribunal arbitral, lorsque la clause compromissoire ou le compromis d’arbitrage ne stipulent rien à cet égard. Il s’agit en général du Président du Tribunal de Grande Instance. Ainsi, lorsque deux arbitres ne réussissent pas à s’accorder sur la désignation du président, le juge d’appui peut intervenir et le choisir. Aussi, on retrouve le juge d’appui lors des arbitrages multipartites, c’est à dire lorsqu’il y a plusieurs parties demanderesses ou plusieurs parties défenderesses, et que ces parties ne réussissent pas à désigner un arbitre commun.
Le Code de Procédure Civile français dispose, à son article 1456, que « le tribunal arbitral est constitué lorsque le ou les arbitres ont accepté la mission qui leur est confiée. A cette date, il est saisi du litige ». Lorsqu’ils acceptent leur mission, les arbitres doivent respecter deux notions fondamentales : l’indépendance et l’impartialité. L’indépendance est une notion objective, elle consiste en l’absence de liens entre l’arbitre et l’une des parties. L’impartialité est, quant à elle, une notion plus subjective puisqu’elle résulte en l’absence d’un parti pris de l’arbitre : celui-ci sera donc tenu à une obligation de révélation de ce parti pris qui, s’il venait à être constaté, à défaut de révélation, pourrait avoir comme conséquence la nullité de la sentence arbitrale.
À défaut d’accord des parties, le délai légal, énoncé à l’article 1463 du Code de procédure civile, pendant lequel est constitué le tribunal arbitral est de six mois à compter de sa saisine. Ce délai peut néanmoins être conventionnellement prorogé par les parties, ou par le juge d’appui à la demande des arbitres. À l’issue de ce délai sera délivré une sentence arbitrale : les juges en délibèrent secrètement et ces sentences ont en général la même structure qu’un jugement ou un arrêt. La sentence est rendue à la majorité des voix et est signé par tous les arbitres. Si un arbitre refuse de signer, le président est tenu de consigner à la fin de la sentence le refus de l’arbitre.
La sentence arbitrale n’est susceptible d’exécution forcée qu’après une procédure en exequatur. La procédure en exequatur permet au juge judiciaire de vérifier que la sentence n’est pas manifestement contraire à l’Ordre public, toutefois celle-ci n’est que rarement refusée. Néanmoins, le caractère exécutoire de la sentence n’écarte pas tout recours, trois voies sont possibles : l’appel, s’il est prévu par les parties ; le recours en annulation, qui est strictement encadré et doit répondre à l’un des six critères limitatifs (compétence, irrégularité, défaut de mission, contradictoire, défaut de motivation et ordre public) ; et enfin la rétractation qui est plus rarement invoqué, notamment dans les cas de fraudes ou d’impartialité.
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La Conciliation et la Médiation en droit français
Ces modes de règlement alternatifs ont fait leur apparition avec la loi du 8 février 1995 sur l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ils ont pour objectifs de résoudre les différends par voie amiable et négociée sans intervention de nature juridictionnelle de la part d’un magistrat. Ce développement croissant répond à une nouvelle philosophie de la justice, plus tournée vers le compromis que le contentieux, mais aussi à résoudre certains maux contemporains tel que l’engorgement des juridictions.
La médiation est une méthode qui consiste à recourir à une tierce personne impartiale dont le rôle sera de guider les parties à trouver une solution. Le médiateur doit être perçu comme tel par les deux parties. À ce titre, il doit non seulement détenir un savoir faire universitaire mais aussi faire preuve d’un savoir être de médiateur qui conjugue l’empathie, l’ascèse et la capacité d’écoute.
Le rôle du médiateur consiste à faire accepter les règles du jeu aux parties : respect d’autrui, non-intervention quand l’autre partie s’exprime, confidentialité et application de la décision. Ainsi, deux phases s’en suivent :
- Une phase dite « tournée vers le passé » où chacune des parties exposent leur propre version des faits. Cette phase passe par une étape de reformulation où chaque partie se met dans la « peau de celui qui a formulé ». C’est le début d’un cheminement vers un accord.
- Une phase dite « tournée vers l’avenir » où le médiateur invite les parties à faire des propositions pour sortir du conflit et qui permet à la solution de se dessiner peu à peu.
La médiation offre d’autres possibilités comme celle d’un entretien séparé avec le médiateur ; celui-ci peut aussi prononcer la suspension pour laisser un certain temps de réflexion aux parties. Enfin, l’accord relève exclusivement des parties : le médiateur ne peut pas rédiger de proposition d’accord, c’est aux parties de s’entendre in fine.
La conciliation ressemble beaucoup à la médiation à la différence que celle-ci est gratuite alors que la médiation est payante. Aussi, le conciliateur est en droit de faire une proposition aux parties. Enfin, le code de procédure civile fait entrer la conciliation dans les missions du juge. Cette forme de conciliation judiciaire est de plus en plus utilisée au niveau des juridictions de première instance, avec une tentative de la part des magistrats de la systématiser dans les dossiers qui le permettent.
Le traitement judicaire des conflits commerciaux
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Le règlement des litiges « entre commerçants » en France
Les experts se sont ensuite intéressés au traitement judicaire des conflits commerciaux. Pour cette seconde partie intervenait Monsieur Charles Vincenti président d’honneur de l’association Droit & commerce, et son homologue Cambodgien Monsieur LY Tayseng, avocat au barreau du Cambodge, Directeur général du cabinet HBS Law à Phnom Penh.
Si l’arbitrage est de plus en plus utilisé dans le monde des affaires, eu égard aux nombreux avantages qu’il présente, les Tribunaux de commerce restent en France le mode de règlement des conflits le plus courant et accessible pour les litiges commerciaux.
En dehors des contrats commerciaux prévoyant des clauses d’arbitrage par les parties, les Tribunaux de commerce sont compétents pour trancher les litiges entre commerçants, entre commerçants et sociétés commerciales, et ceux portant sur les actes de commerce.
Le système judiciaire français distingue les litiges commerciaux, des litiges civils ou pénaux. Ainsi les Tribunaux de Commerce ont été crées pour traiter uniquement de la matière commerciale. Créés au XVIIème siècle par le Chancelier Michel de l’Hospital – par ailleurs « Saint Patron » de l’association « Droit & Commerce »-, les Tribunaux de Commerce constituent une spécificité du système judiciaire français. Ils se composent de juges non professionnels, bénévoles et élus par leurs pairs, que l’on nomme « juges consulaires ». Aujourd’hui, on dénombre près de 134 Tribunaux de Commerce en France qui rendent près de 983 787 décisions par an.
Si cette justice consulaire perdure c’est qu’elle présente de nombreux avantages, Monsieur Charles Vincenti insiste en effet sur l’efficacité de cette « justice réaliste » qui s’est montré imaginative et innovante et a su s’adapter au monde changeant du droit des affaires. Par exemple, la pratique du mandataire ad hoc, dans les procédures collectives, est une invention des tribunaux de commerce, bien avant sa codification par le législateur.
Parmi les grands avantages de cette juridiction consulaire, Monsieur Vincenti a notamment cité :
- la simplicité d’accès : les parties peuvent agir elles-mêmes, elles peuvent être assistées et représentées par la personne de leur choix. (Article R662-2 du code de commerce qui renvoi à l’article 853 du code de procédure civile).
- la simplicité de la saisine du tribunal : par comparution spontanée des parties devant le tribunal ; par requête conjointe ou assignation à jour fixe par huissier
- l’oralité de la procédure.
- la rapidité des délais.
- une procédure efficace et adaptée : 13% de recours contre les décisions rendues par les Tribunaux de Commerce, ce qui est à peu près la moyenne des juridictions de droit commun.
- le coût dérisoire de cette justice pour l’Etat : les juges consulaires sont des juges bénévoles.
Le traitement judiciaire des conflits commerciaux par les tribunaux de commerce apparaît comme particulièrement efficace en France face à un monde des affaires mouvant.
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Le traitement judiciaire du conflit commercial au Cambodge
Pour nous parler du traitement judiciaire des conflits commerciaux au Cambodge, l’association Droit & commerce a eu l’honneur de recevoir Monsieur Ly Tayseng avocat au barreau du Cambodge.
Maître Tayseng a rappelé qu’initialement, et ce contrairement à la France, la constitution Cambodgienne de 1993 n’opère pas de distinction entre les contentieux administratif, civil et commercial, de sorte qu’il n’existe pas de tribunaux spéciaux distincts pour traiter des conflits commerciaux.
Au Cambodge, il y a trois degrés de juridiction à savoir les tribunaux municipaux ou provinciaux, la Cour d’appel et la Cour suprême. Le tribunal municipal ou provincial est une juridiction de premier degré qui a compétence pour régler l’ensemble des litiges. Il n’existe qu’une seule Cour d’appel à Phnom Penh dont la compétence territoriale couvre l’ensemble du pays. Ainsi, s’il existe actuellement une juridiction d’exception en matière militaire, il n’existe pas de juridiction spéciale pour les Tribunaux de commerce.
Toutefois, dès 2002, lors de la ratification de son protocole d’accession à l’Organisation Mondiale du Commerce, le Cambodge s’engageait à instaurer des juridictions spéciales afin de régler les litiges commerciaux. Douze ans plus tard, ce projet sera partiellement entériné par l’adoption d’une loi relative à l’organisation judiciaire en date du 16 juillet 2014 dans lequel des chambres spécialisées en droit des affaires sont crées au sein des tribunaux de première instance.
Cependant, si en théorie ces chambres ont vocation à traiter de la matière commerciale, en pratique celles-ci ne sont pas encore effectives en l’absence d’une procédure propre à cette matière.
En outre, Maître Ly a rappelé les problèmes inhérents à la justice étatique au Cambodge, tels que la lenteur de la procédure ou son coût, qui pourraient décourager un certain nombre de commerçants à entamer une procédure judiciaire, même devant des chambres spécialisées.
Crédits : Caroline Tissot et Laurent Moulin